Une rencontre paradisiaque
- Marion
- 21 déc. 2015
- 5 min de lecture
Lorsque j'étais enfant, ma mère me contait souvent la même histoire. Je l'aimais beaucoup, cette histoire. Je l'a lui réclamais tous les soirs, pour qu'elle fasse parti de mes songes pendant la nuit.
La légende que me racontait ma mère avant de m'endormir était celle de l'Ange aux cheveux rouges. Dans les moments où la vie nous semble sombre, où notre âme est triste, il suffisait de penser très fort à cet Ange. Dès lors, il apparaîtrait et m'apporterait le plus grand des bonheurs.
Quand ma mère nous quitta, emportée par la maladie, je venais d'avoir sept ans. Elle n'en avait que vingt-sept. J'ai pensé si fort à cet Ange, j'en ai pleuré, hurlé, je l'ai supplié d'apparaître face à moi, pour me rapporter le plus grand des bonheurs : celui de retrouver ma mère. Lorsque j'ai enfin compris que l'Ange ne viendrait jamais, j'ai cessé de penser à ma mère. J'ai plié son souvenir et je l'ai enfermé à double tour dans l'armoire de mon coeur.
Cette armoire, je ne l'ouvrais que le jour de l'anniversaire de sa mort. Mon rituel était toujours le même : imbibée de champagne, je maudissais au plus profond de moi cet Ange qui se moquait, qui ne prenait jamais la peine de comprendre ma douleur, et qui se refusait à m'apparaître.
Un jour, je fis une entorse à cette tradition, à cet anniversaire morbide. Ma meilleure amie, attristée de me voir seule à cette date, décida de m'offrir un week end entre filles dans une belle chambre d'hôtes. Si ça pouvait lui faire plaisir… Je l'a suivi donc à contre coeur.
Il fallait le reconnaître, le lieu était magnifique, presque paradisiaque. Ma mère est morte un 21 décembre. Cette année, l'automne avait été particulièrement rude, et la neige avait déjà couchée une légère poudreuse dans le domaine où nous nous trouvions. Passionnée par l'architecture, elle avait choisi un château. Un beau château datant de 600 ans, où les pierres sont apparentes, et où l'intérieur fait rêvé : le salon était aussi grand que mon appartement, les murs présentaient de magnifiques tableaux anciens, chaque pièce abritait une odeur de bois et de cire d'abeille.
Notre chambre comportait deux pièces, et proposait deux lits à baldaquin au matelas des plus confortables, avec une magnifique cheminée. A notre arrivée, des bûches crépitaient déjà, comme pour nous souhaiter la bienvenue.
Le soir, elle m'offrit également le restaurant, mais m'interdit le champagne :
« Il n'est plus question pour toi de t'attrister de la sorte sur la mort de ta mère. Il est temps de briser les codes ! ».
Elle avait raison, après tout. A quoi cela me servirait-il de boire jusqu'à l'ivresse, une fois l'an ? A quoi cela me servait-il de maudire une histoire d'enfant ? L'Ange aux cheveux rouges n'existait pas, voilà tout. Il n'y avait rien à maudire, puisque ce n'était rien.
La résolution était prise : c'était ma dernière année de haine contre l'Ange.
De retour dans notre chambre chauffée et douce, je commençais alors à me préparer pour le coucher. Le sommeil pesait sur mes paupières, et je ne rêvais que d'une chose : m'endormir. Car même si la bonne résolution était prise, il n'en était pas moins difficile pour moi de la tenir. Elle m'était pesante.
Mais alors que je m’apprêtais à me glisser sous mes couvertures, je crus apercevoir une lumière intense passé sous ma porte de chambre. Etait ce un effet de la fatigue de cette rude journée? Je tendis alors l'oreille. Aucun bruit de pas, aucun souffle. Pourtant, je n'étais pas folle ! Ce n'était pas une lumière ordinaire, de celle qui est produite par une ampoule électrique. C'était une lumière blanche, pure, belle. Petit à petit, aussi vite qu'elle m'apparut, elle se dissipa. Je devais en avoir le coeur net. Qu'avais-je vu ?
Un poncho sur les épaules pour ne pas me laisser gagner par le froid ambiant du bâtiment, je me mis en quête de suivre cette lumière. A gauche, oui, juste là ! Au bout du couloir, la lumière était là. A petits pas, je la suivis. Une fois au bout du couloir, la lumière me jouait encore un tour. Elle se glissa dans un autre coin, avant d'entrer dans une pièce. Curieusement, la lumière avait choisi la pièce du château que je préférais : la salle de bal. Le bois et le parquet étaient d'un marron sombre, de magnifiques moulures épousaient les murs. Il était désormais impossible qu'elle m'échappe ! La porte était légèrement entrouverte, et la lumière était de plus en plus intense.
Une main tremblante sur la porte, je fus alors comme pétrifiée face au spectacle qui s'offrît à moi. La lumière avait disparu. Tout du moins elle s'était associée aux lumières artificielles du lustre qui donnait tout son charme à la pièce. Et juste en dessous, il y avait une jeune femme. Vêtue d'une immense robe blanche, elle tournoyait sur elle-même. Pendant un instant, je crus qu'il s'agissait d'une autre hôte… mais nous étions seules avec mon amie. Sa peau était blanche immaculée, un joli sourire se dessinait sur son visage. C'était un sourire d'innocence et de joie. Des tatouages ornaient son corps : des écritures, des roses, des rubans, … Mais un détail retint mon attention. Cette femme avait les cheveux rouges.
Une dérangeante sensation de froid parcourut alors mon dos : c'était elle ! C'était l'Ange aux cheveux rouges ! Dès lors où je compris qui elle était, la jeune femme s'arrêta de tourner. C'était comme si une connexion existait entre nous. Arrêtée net, face à moi, son regard me transperça.
Nous nous étions comprises. Plusieurs secondes passèrent sans que l'une d'entre nous ne bouge. Puis le sourire angélique de cette jeune femme réapparut sur son visage. Elle s'approcha doucement de moi, mais ne marchait pas. Elle flottait, légèrement, au dessus du sol. La sensation de froid disparut alors pour laisser place à une immense sensation de bien-être et d'apaisement. Elle s'approcha encore, cinq mètres, puis trois, deux… Face à moi, je pouvais alors distinguer les traits de son visage. Mon Dieu, ces traits, jamais je ne les oublierais ! Elle était si belle, si jeune.
Cet ange, c'était ma mère, à l'âge où elle était morte. Elle était là, face à moi !Je n'osais pas la toucher, je n'osais prononcer aucun mot. Elle était juste là, face à moi, elle semblait heureuse et apaisée. C'est tout ce qui m'apporta.
Une larme coulait alors sur sa joue. Une larme de joie. Nous étions l'une en face de l'autre, rassurées de nos sorts communs : désormais, je savais qu'elle était heureuse, et elle savait que mon deuil s'achevait à cet instant là.
Tout doucement, sa robe s'évapora. Puis ses jambes, son buste, ses bras, et enfin son visage et son magnifique sourire disparurent devant moi. Elle est repartie comme elle était venue : en douceur et sans un bruit.
Pour la première fois de ma vie, j'ai reçu le plus grand des bonheurs.

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